L’actualité brûlante tourne
autour de Daech. Mais cette organisation terroriste et barbare ne doit pas nous
faire perdre de vue d’autres sujets qui seront
certainement plus importants d’ici quelques années : le principal
d’entre eux, du point de vue de la nécessité des forces armées, est le réveil
de la Chine.
1/ Il y a de nombreuses raisons pour que Daech ne vainque pas et
n’arrive pas à son but
Au Proche-Orient, nous sommes
bien en guerre contre Daech. Les actualités et la manière dont les médias les
relatent laissent penser que Daech semble invincible.
Certes, les territoires conquis
par Daech sont vastes, ce qui impressionne beaucoup. Il faut, cependant, noter
que ce sont surtout des déserts et quelques villes. Les armées nationales n’y
étaient certainement pas très bien implantées, la valeur de ces territoires
n’étant que médiocre.
La stratégie de Daech est
intelligente : ils ont élaboré des méthodes évolutives en fonction des
terrains et des situations, ils savent faire preuve d’un grand pragmatisme et
de beaucoup d’audaces. Mais, les oppositions à Daech sont nombreuses :
régime de Bachar El Assad, coalition internationale, Kurdes, chiites d’Iran ou
du Hezbollah.
Certes, ces forces sont dispersées,
voire opposées les unes aux autres. Mais elles existent et ont des capacités
importantes.
Les médias parlent beaucoup de
l’inefficacité de la coalition internationale qui ne conduit que des
attaques aériennes. La limite de telles attaques est, en effet, bien
connue : il faut être sur le terrain pour s’opposer à un ennemi. Mais ces
attaques aériennes portent des coups de boutoir réels à Daech, désorganisent
par moment cette organisation et détruisent une partie de ses capacités
militaires.
Le temps qui passe permet aux
autres acteurs de s’organiser (telle la force militaire irakienne) et
d’apprendre à s’opposer à ce genre d’ennemi nouveau : les prises de
terrain par Daech ne sont pas irréversibles.
Ainsi, la coalition s’est déchaînée le samedi 4 juillet sur
la ville de Raqa, dont Daech a fait sa capitale en Syrie, effectuant 18
frappes. Le but de ces frappes était de limiter la liberté de mouvement du
groupe djihadiste en visant les corridors utilisés par Daech pour projeter ses
combattants et du matériel militaire. Ces frappes aériennes ont détruit des
infrastructures vitales contrôlées par Daech et d’importantes routes de transit
en Syrie, selon le communiqué de la « Combined Joint Task Force - opération
Inherent Resolve[1] »
(CJTF-OIR). En tout, 16 ponts ont été détruits.
Cette pression a amené jusqu’ici le groupe djihadiste à
céder plus de 5000 kilomètres carrés de territoire au cours des deux derniers
mois. Les frappes aériennes visent également les installations pétrolières et
gazières qui financent Daech.
Aujourd’hui, avec les Kurdes plus au nord qui ont repris
Tal Abyad en Syrie, les groupes rebelles rivaux, dont le Front Al-Nosra, qui
accumulent les succès et la coalition qui pilonne ses positions, le groupe armé
Daech ne paraît plus invincible, même si la lutte sera encore longue.
L’impression inverse que nos
sociétés en ont vient du fait que Daech sait alimenter magistralement les
médias modernes : son message vient amplifier son action, dans le sens qui
lui est favorable. Notre faiblesse est de nous laisser impressionner par
ces messages et d’en donner un retentissement planétaire.
2/ Les attentats, une marque de faiblesse et non de force
Daech multiplie les attentats
spectaculaires. Ces attentats ont une audience internationale très grande,
particulièrement en France. Pourtant, les attentats sont l’arme des
faibles : là où Daech commet des attentats, c’est qu’il ne peut porter de
véritables attaques guerrières.
Il faut comprendre la chose
suivante : nulle organisation défensive ne pourra s’opposer à toute
tentative d’attentat. Le terroriste qui veut commettre un attentat va toujours
choisir son lieu et son heure. Certes, certains attentats ont une valeur
émotionnelle particulière (attentats contre des journalistes, contre un
supermarché juif, contre des églises, …). Certes, il est évident que la
protection va se porter sur des lieux symboliques où des foules affluent :
la Tour Eiffel, les gares SNCF, les musées, des écoles, … Mais, n’importe quel
supermarché à 18h, dans n’importe quel village, pourrait être une cible intéressante
pour des terroristes et le retentissement d’un tel attentat devrait être tout
aussi grand.
Notre faiblesse est double. Celle
d’exiger qu’aucun attentat ne puisse être perpétré, alors que cela est impossible :
nous devons accepter l’éventualité d’autres attentats sur notre sol. Celle de
manifester bruyamment et médiatiquement notre « union sacrée »
lorsqu’un attentat a eu lieu : il me semble que ces manifestations
purement verbales et gestuelles doivent enchanter les terroristes qui y voient
certainement une faiblesse psychologique de notre nation.
Je pense toujours à cette très
belle déclaration de Winston Churchill : « J'aimerais dire à la Chambre, comme je l'ai dit à ceux
qui ont rejoint ce gouvernement : je n'ai à offrir que du sang, de la
peine, des larmes et de la sueur. Vous me demandez, quelle est notre
politique ? Je vous dirais : c'est faire la guerre sur mer, sur terre
et dans les airs, de toute notre puissance et de toutes les forces que Dieu pourra
nous donner. »
Lors d’un attentat terroriste,
nous devrions rester calmes et discrets, ne pas manifester d’émotion publique
et montrer ainsi que nous sommes vraiment un peuple au mental très fort, un
peuple qui s’en remet à son gouvernement pour réagir. Le gouvernement devrait
expliquer son plan d’action, et ne pas s’en tenir à des déclarations
inutiles telles que : « Ces actes barbares et ignobles »,
« Rester calmes et ne pas faire d’amalgame », …
Parler de « guerre »
sur notre territoire n’est pas cohérent. Sommes-nous vraiment en guerre chez
nous lorsque nous vaquons quotidiennement à nos occupations de manière
habituelle et sans prendre des mesures de temps de guerre ? Sortons-nous
avec des gilets pare-balles, des engins blindés, armés jusqu’aux dents ?
Non, nous ne sommes pas en
guerre. Il y a seulement des terroristes potentiels dont l’action est à traiter
par des services de renseignements et de police. Eux doivent faire et font leur
métier.
3/ Le réveil de la Chine
La Chine est un pays gouverné de
manière dictatoriale, ce qui donne à ses gouvernants une capacité à suivre une
politique dans la durée (ils ne sont pas à la merci d’une élection ou d’un
mouvement populaire) et selon une stratégie, elle aussi inscrite dans la durée,
qui se joue des institutions internationales.
Actuellement, la Chine mène
depuis des années des actions de vive force[2]
visant à faire de la mer de Chine du
sud un espace de souveraineté nationale alors que plusieurs parties de
cette mer sont des eaux territoriales ou des zones économiques exclusives (ZEE)
d’autres Etats (Vietnam, Philippines, Malaisie, …) et qu’une autre partie est
une zone de haute mer à statut international. Les ambitions de la Chine sont
matérialisées sur les cartes par le « tracé en 10 traits » encore
appelé, compte tenu de sa forme, « le tracé de la langue de buffle ».
La visée réelle est à plus long
terme et bien plus dangereuse militairement : permettre le déploiement de ses sous-marins
nucléaires lance-engins dans la Pacifique comme menace stratégique des
USA et du reste du monde.
Simultanément, la Chine déploie
sa stratégie dite du « collier de
perles » consistant dans le rachat ou la location
pour une durée limitée d'installations portuaires et aériennes échelonnées
jusqu'au Soudan pour garantir la sécurité de ses voies d'approvisionnement
maritimes, ainsi que sa liberté d'action commerciale et militaire. Elle a aussi
pour but d'encercler l’Inde par des ports au Sri Lanka, au
Pakistan, en Birmanie et au
Bangladesh.
Face à cette puissance réelle dont parlent si peu nos médias
toujours fascinés par le court terme et par le sensationnel, la seule puissance
capable de s’opposer à la Chine est les USA. Dans 10 ans ou 20 ans, la
puissance militaire chinoise s’imposera au reste du monde.
Simultanément, l’Union européenne sera devenue un nain
militaire alors qu’elle sera encore probablement l’une des cinq plus grandes
puissances économiques de la planète.
4/ A quand le
redressement militaire de l’Union européenne ?
Lors de la chute de l’URSS, en 1991, les nations européennes
ont cru qu’elles étaient dorénavant à l’abri de toute guerre, de toute attaque.
Elles ont alors décidé de « profiter des dividendes de la paix » en
réduisant de manière très importante leurs budgets de défense.
Aujourd’hui, l’Union européenne est déja un nain militaire.
La France seule a des capacités militaires réelles, mais très réduites[3].
Or, nul européen ne peut croire aujourd’hui à cet espace de
paix éternel ! Les guerres s’enchaînent à nos portes, la Chine se déploie
de manière continue et puissante. La paix au niveau mondial n’est pas pour
demain, ni pour après-demain. Il appartient donc aux nations de prendre les
mesures de défense qui leurs seront un jour nécessaire.
Toutes les nations européennes doivent redresser leur effort
de défense au moins à hauteur de 2% de leurs PIB. Il faut prendre conscience
que les budgets militaires de très nombreuses nations sont en progression très
nette de plusieurs pourcents annuels, alors que ceux des Etats de l’Union
européenne décroissent ou, au mieux, stagnent.
Qu’on ne s’y trompe pas, le but du redressement militaire de
l’Union européenne n’est pas d’être un élément générateur de conflits dans le
monde. Il doit d’abord permettre à l’Union européenne de se protéger par
elle-même et de cesser de remettre cette protection entre les mains des USA
(que l’on sait si facilement vilipender par ailleurs !). Il doit ensuite
être capable de favoriser la pacification du monde ou de limiter les conflits :
il faudra bien, face aux puissances militaires de demain, pouvoir faire valoir
notre vision du monde.
Récemment, un attentat terroriste a conduit le président de
la République à réduire la diminution des effectifs et du budget de la Défense.
C’est un pas minuscule, bien qu’exceptionnel puisque cela fait des décennies
que l’on n’a connu que des évolutions inverses.
Mais, il faut aller plus loin : il faut augmenter les
effectifs des forces armées et leurs capacités militaires. Il s’agira d’un acte
politique de clairvoyance qui demande du courage … mais tous les hommes
politiques ne cessent, dans leurs déclarations, de nous dire qu’ils sont
courageux : qu’ils le montrent !
[1] Force tactique combinée
(terre – air – mer) multinationale – Opération « Volonté inébranlable
locale (avec les pays locaux) » (traduction personnelle).
[2] Contrôles maritimes
assurés par des navires militaires, déroutements d’avions volant au dessus de
ces zones, manœuvres maritimes d’intimidation, construction d’une stèle
chinoise par 22 m de profondeur sur un haut fond ne dépendant pas de ses eaux,
harcèlements des compagnies pétrolières en mer de Chine du sud, ..
[3] Voir mon article du mois
de juin 2014.