ou
La fraternité en déshérence
Aux frontons de nos mairies
s’affiche fièrement notre triptyque « Liberté,
égalité, fraternité ».
Dans le débat politique, nous
entendons sans cesse parler de liberté et d’égalité, de protection de la
liberté, de lutte pour l’égalité. Mais nous n’entendons plus parler de fraternité : ce mot est absent du vocabulaire
politique depuis bien longtemps.
Cela est d’autant plus étrange
que les hommes politiques font appel aux « valeurs
républicaines » chaque fois qu’ils estiment qu’elles sont mises
en péril ou chaque fois qu’il est nécessaire de rappeler les références
majeures de leur action. Or, ces valeurs républicaines sont bien d’abord celles
de notre devise nationale, et la fraternité en fait partie : pourquoi donc
ne plus l’invoquer ?
Dans la vie politique comme dans
la vie de la société, nous entendons évoquer quasi systématiquement la solidarité comme vertu essentielle. Solidarité
envers les personnes touchées par une crue, une tempête, solidarité à travers
une « marche blanche » envers la famille d’une personne odieusement
assassinée, solidarité des actions caritatives (Restos du Cœur, Secours
catholique, …), et beaucoup d’autres encore.
Notre société n’est donc pas en défaut de solidarité, mais elle
l’est en matière de fraternité !
Dans une première approche, on
peut considérer que fraternité et solidarité c’est tout un. Or, puisque ce sont
deux mots différents, c’est qu’ils recouvrent deux réalités différentes.
La solidarité est l’action d’entraide
envers une personne dans une difficulté importante. C’est une très belle valeur
humaine et il est bon et nécessaire de la développer, surtout dans notre
société marquée par un individualisme assez important.
La fraternité correspond à la
conscience que « l’autre » est un frère : avec la fraternité, nous
passons dans un autre ordre de relations humaines. L’autre est un frère, même
s’il n’a aucun besoin, même s’il n’est pas en difficulté. Il est un frère de
manière permanente, alors que la solidarité s’exerce essentiellement de manière
conjoncturelle : après la crue et après la remise en ordre de la maison
détruite par la crue, l’action envers cette personne peut disparaître. Il est
vrai qu’une action de solidarité envers des personnes très proches géographiquement
peut créer des liens de fraternité qui vont durer au delà de l’action
d’entraide. Mais, dans bien des cas, lorsque la solidarité s’exerce de loin
(don financier par exemple) ou envers des personnes pas si proches que cela
(marche blanche d’une ville en soutien à une famille), le lien entre personnes
va s’estomper.
La fraternité englobe la
solidarité, pas l’inverse : la fraternité se concrétise, entre autres, par
la solidarité lorsque nécessaire, la solidarité peut se fonder sur un simple
sentiment d’altruisme ou de compassion.
Qu’apporterait la référence à la fraternité au niveau
politique ?
Elle apaiserait certainement le
climat politique, pour le bien des hommes politiques eux-mêmes, mais aussi pour
le bien des citoyens.
En effet, « l’autre »
en politique ne serait plus regardé d’abord comme un adversaire ou un ennemi politique,
mais comme un frère en humanité. On serait en permanence rappelé à cette
volonté nationale : celle de se considérer d’abord comme des frères.
Le langage même en serait
changé : l’adversaire lors d’élections politiques deviendrait un compétiteur. Les échanges verbaux lors de la
campagne électorales seraient plus polis, plus courtois, plus apaisés, même avec
des idées très opposées. L’idée serait : « que le meilleur gagne »
… pour le plus grand bien de la société.
Les polémiques
deviendraient des débats, car on serait
amené à considérer que l’autre a droit d’avoir un avis différent, que l’on
n’est pas seul possesseur de la vérité, que l’autre est lui aussi, dans son action
politique, au service du bien commun ou de l’intérêt général, et que l’on ne
peut user à son encontre de l’invective.
L’invective
en politique est trop courante et les médias y trouvent leur bonheur : à
chaque jour, la petite phrase assassine d’un homme politique envers un
autre ! Mais on voit bien que cela induit un très mauvais climat en
France : l’image de la politique est très négative et les Français disent
n’avoir plus confiance en les politiques.
Je rêve que chaque candidat à une
élection signe une charte selon le canevas suivant :
Je reconnais que :
-
chacun des
candidats a le droit de se présenter à cette élection,
-
chacun des
candidat se présente pour être au service de la société, de l’intérêt général
et du bien commun et qu’en cela il mérite le respect,
-
tous les
candidats sont des compétiteurs et non des adversaires.
Je n’entre pas en lutte politique mais en
compétition pour le plus grand bien de la société.
Je m’engage à ne jamais insulter les autres
candidats, à les respecter en tant qu’homme ou femme, tout en défendant de
manière argumentée mes idées et les projets politiques.
Ce mauvais climat politique a un impact sur toute la société
Vis-à-vis de l’autre, l’homme a
une plus grande facilité naturelle de dire du mal que du bien. Il suffit
d’écouter les conversations autour d’une table ou d’une machine à café pour
s’en convaincre, mais aussi d’écouter sa petite voix intérieure qui n’est pas
avare de critiques sur les autres. Cela se comprend bien : lorsque l’on
critique l’autre, c’est que l’on s’estime supérieur à lui. Lorsque l’on dit du
mal de l’autre, cela revient à dire du bien de soi. Et l’on a tous besoin
d’entendre dire du bien de soi, de se sentir valorisé, d’être reconnu
positivement.
Les hommes politiques sont
puissants et très médiatisés. De ce fait, ils donnent un exemple permanent des
relations humaines à la radio et à la télévision. Lorsqu’ils sont porteurs d’un
langage polémique et trop peu retenu, ils entretiennent, au-delà du champ
politique, un climat négatif de relations humaines : ils déteignent sur
leurs concitoyens[1].
L’exemple donné par les
politiques peut être déplorable, en dépit de leur engagement et de leurs
qualités. Même si j’aime regarder un débat politique à la télévision car j’en
ai besoin pour mieux comprendre les enjeux de notre société, j’en arrive la
plupart du temps à les exécrer en voyant s’écharper les hommes politiques
autour d’un plateau télévisé : ils ne s’écoutent pas, ils se coupent la
parole, ils parlent tous plus forts les uns que les autres, ils
s’invectivent ! Où est la fraternité, valeur fondamentale de notre
République ?
On entend rarement un homme
politique reconnaître la vérité ou la qualité d’une décision prise par un
adversaire politique. A l’inverse, lorsqu’un homme politique décide d’une chose,
certains de ses adversaires, instantanément, le contredisent. Cela aussi se
transmet dans l’esprit de leurs concitoyens : ils apprennent à être
exagérément critiques, à ne savoir faire qu’une critique négative.
Comment peut-on alors s’étonner
des relations conflictuelles entre citoyens de la même famille, de la même
entreprise, de la même association, mais aussi de clubs sportifs concurrents,
d’associations idéologiquement opposées quand ceux qui devraient être un
exemple pour tous se comportent de manière aussi déplorable ?
Alors, à quand la République des
3/3 ?
PS. Je viens d'apprendre que le thème des entretiens de Valpré, cette année, sera le suivant : " Tous égaux : une imposture ? ". Le thème de l'égalité tel qu'il est vécu aujourd'hui dans notre société mérite une vraie réflexion, car on observe de nombreuses dérives, sous couvert de toujours plus d'égalité. Un thème futur pour mon blog ?
[1] Ceux
qui me connaissent savent, néanmoins, que je défends toujours l’idée que les
hommes politiques « ne sont pas tous pourris », que beaucoup d’entre
eux, et probablement une très grande majorité, sont animés par le souci du bien
commun.