dimanche 12 janvier 2014

Centre-Afrique : guerre de religion ?

Les médias présentent le conflit en Centre-Afrique comme une guerre de religion, celle entre milices chrétiennes et milices musulmanes, celle tout simplement entre chrétiens et musulmans proches géographiquement.

Cette présentation systématique de guerre de religion me dérange. Tout d'abord, parce que je ressens très souvent les médias français comme hostiles aux religions, ou au christianisme : c'est une position de principe ! Alors, je me dis que peut-être leur analyse est trop simple et trop confortable. Ils ont ainsi une grille de lecture qu'ils imposent à leurs auditeurs ou lecteurs, grille de lecture toute faite, parée à l'emploi et que l'on ne peut remettre en question : voyons, c'est si évident qu'il s'agit d'une guerre de religion !

Pourtant, j'ai eu souvent l'occasion d'étudier des conflits présents et passés et j'en suis arrivé à une conclusion quasi générale : les guerres de religion (sous entendu " strictement de religion ") n'ont pas été nombreuses dans l'histoire des hommes. En effet, la première cause de conflit a été la conquête de territoire : pour s'agrandir (voyez l'histoire de France et les guerres de tous les Etats qui deviendront l'Europe), pour les richesses espérées (conquête de l'Amérique), pour se protéger en cherchant à atteindre une barrière naturelle (Israël), pour reprendre ce qui avait été perdu (l'Alsace et la Lorraine), ...

Cet accroissement de territoire est ensuite très souvent directement lié au désir de puissance du chef d'Etat (s'agrandir géographiquement, c'est se faire reconnaître plus grand, plus fort, plus puissant, plus majestueux). On peut penser naturellement à Napoléon, mais on trouve cela aussi pour de nombreux conflits internes à la Chine, au long de sa longue histoire. Aujourd'hui, de nombreux conflits trouvent leur source dans la recherche de profits à travers les trafics d'armes, de cigarette, de drogue, en particulier au Sahel.

Par ailleurs, quand vous entrez en guerre, il est important que vous ayez le maximum de raisons de vous battre à mort contre votre adversaire : l'enjeu est trop grave pour ne pas mettre tous ses atouts de son côté ! Aussi, ceux qui décident d'entrer en guerre vont donner à leurs combattants de multiples raisons de se battre, et ils vont alors utiliser pour cela toutes les différences possibles entre les deux peuples. Les grandes différences sont la langue, la religion, la couleur de peau, la culture. Ensuite, il est possible d'y ajouter d'autres facteurs : l'histoire entre les deux peuples (que la mémoire des conflits antérieurs est mortifère !), l'espoir de richesses prises à l'autre, sa propre supériorité idéalisée, ...

La religion étant donc un puissant facteur de différenciation, chaque fois que possible elle est mise en exergue, même si la raison initiale du conflit n'est pas religieuse.

Alors, Centre-Afrique, guerre de religion ou pas ?

Remarquons tout d'abord que les deux communautés religieuses (chrétienne et musulmane) sont largement représentées dans la population (80% chrétiens et 20% musulmans) et qu'elles vivaient en bonne entente jusqu'à ces derniers temps. Pourquoi donc la religion serait-elle devenu subitement un facteur de conflit ? D'autant plus que l'on voit que les autorités religieuses interviennent de concert pour essayer de pacifier la situation.

En réalité, le conflit est venu à partir d'une lutte de pouvoir pour la direction du pays : les rebelles de la Séléka ont conduit au pouvoir l'ex-président Djotodia puis ont profité du vide du pouvoir pour commettre leurs exactions et leurs pillages, engendrant un cycle de violence fondé sur la peur ou sur la transgression. Nous savons que ces rebelles venaient, pour beaucoup, de l'étranger : le conflit est donc né d'une absence de pouvoir politique et a eu pour support des malfaiteurs organisés militairement, par lucre et plaisir d'un pouvoir sanguinaire. L'amalgame journalistique entre Séléka et musulmans a été alors facile.

Voici comment ont fait l'histoire et comment, lorsque l'on n'aime pas les religions - la religion chrétienne ou la religion musulmane en particulier, on leur fait porter un chapeau : les auditeurs ou lecteurs n'entendant que cela sont alors convaincus que les religions sont source de guerres !

Dans La Croix du 3 janvier, le politologue Pascal Boniface donne de nombreux exemples de mauvaises interprétations : son article s'intitule " Les conflits n'ont jamais une cause unique ". Dans le même journal, Nicolas Le Roux, professeur d'histoire (article " La leçon de nos anciennes guerres ") donne des exemples identiques pour ce que l'on appelle communément et commodément les " guerres de religion " des XVIème et XVIIème siècle.

A destination des chrétiens, je dirais donc : soyez méfiants lorsqu'on vous parle de guerre de religion et ne tombez pas dans le panneau ! Souvent les conflits ont bien un facteur religieux, mais très souvent ce facteur n'est pas le facteur déclenchant : le conflit n'a pas pour raison fondamentale la religion. Revisitez l'histoire à travers des auteurs impartiaux et vous verrez que nos complexes de catholiques fauteurs de guerres de religion s'évanouiront en grande partie !

A destinations des incroyants ou des athées, je dirais : méfiez-vous lorsqu'on vous parle de guerre de religion, vérifiez si c'est bien la cause du conflit en question. Vérifiez si ceux qui l'expliquent ainsi soit ne cherchent pas à saisir cette occasion pour dire du mal des religions (ce qui n'est ni scientifique ni honnête), soit font preuve de pauvreté intellectuelle, ne sachant pas analyser plus sérieusement les causes du conflit !

mercredi 1 janvier 2014

Travail et christianisme, une confusion habituelle !

Hier, 31 décembre, sur France Inter, une émission était consacrée au livre " Platon La Gaffe, survivre au travail avec les philosophes ", de Jules et Charles Pépin.

Ce livre est fondé sur une idée géniale qui regroupe les grands philosophes dans une même entreprise "Cogitop", chacun ayant un rôle correspondant à ses travaux. Ainsi, Kevin Platon est un jeune stagiaire qui y fait un stage, Montaigne y est en période d'essai, Nietzsche est le directeur des ressources humaines, Sade est responsable des fournitures, Karl Marx est infographiste et délégué syndical, Nicolas Machiavel conseiller de la direction, ...

Je voudrais seulement m'arrêter sur ce que dit en tout début d'émission Charles Pépin. Il rappelle que le mot " travail " a pour étymologie le mot latin " tripalium ", instrument de torture constitué de trois pieux qui assurait une mort lente, et il affirme que l'occident chrétien a imposé une vision dévalorisée du travail, considéré comme une punition et qu'on a mis des siècles à sortir de cette vision.

Jean-Luce Morlie (sur lequel je n'ai pas d'informations, mais qui semble un linguiste distingué) écrit sur son blog : " Depuis longtemps déjà, les linguistes écartent l’hypothèse selon laquelle notre mot pour « travail » dériverait de la forme nominale tripalium ". Son article laisse penser que ce mot pourrait avoir pour origine le latin trabes qui désignait les deux poutres parallèles qui servaient à entraver bœufs et chevaux lors de leur ferrage. Ou encore le mot latin " orbis " (cercle) lié au travail agricole.

Pour ma part, j'avais lu un article qui donnait une autre origine du mot travail, qui n'avait rien à voir avec le tripalium. 

Je ne suis pas assez historien pour savoir si le christianisme a effectivement transmis systématiquement cette vision négative du travail. C'est possible. Mais, comme Charles Pépin l'indique, la Grèce avait déjà cette vision. Alors, ne peut-on pas penser que le christianisme, au contraire, a été à l'origine de cette évolution positive de la perception du travail et qu'il y a fallu des siècles pour cela, comme pour bien d'autres questions ?

Pourquoi je me permets de faire cette hypothèse ? Parce que, dans la Genèse, Dieu est présenté comme le Créateur tout-puissant qui modèle l'homme à son image et l'invite à travailler la terre et à garder le jardin d'Eden où il l'a placé : " Yahvé Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin pour le cultiver et le garder (Gn 2, 15) ".

Depuis longtemps déjà, la Doctrine sociale de l'Eglise commente ce texte ainsi : " Au premier couple humain, Dieu confie la tâche de soumettre la terre et de dominer sur tout être vivant. La domination de l'homme sur les autres êtres vivants ne doit cependant pas être despotique et insensée ; au contraire, il doit " cultiver et garder " les biens créés par Dieu : biens que l'homme n'a pas créés mais reçus comme un don précieux placés par le Créateur sous sa responsabilité. Cultiver la terre signifie ne pas l'abandonner à elle-même ; exercer une domination sur elle, cela veut dire en prendre soin, comme un roi sage prend soin de son peuple et un berger de son troupeau ".

Observant que ces textes remontent à plusieurs siècles avant le Christ, je ne suis pas tenté de dire, comme Charles Michel, que le christianisme a donné une triste vision du travail, mais que la Parole de Dieu elle-même met des siècles à être bien comprise et interprétée par l'homme quelqu'il soit.

En son alinéa suivant (256), la Doctrine sociale de l'Eglise poursuit : " Le travail appartient à la condition originelle de l'homme et précède sa chute : il n'est donc ni une punition, ni une malédiction. Il devient fatigue et peine à cause du péché d'Adam et Eve, qui brisent leur rapport de confiance et d'harmonie avec Dieu [...] Ils voulurent la domination absolue sur toute les choses, sans se soumettre à la volonté du Créateur. Depuis lors, le sol se fait avare, ingrat, sournoisement hostile ; ce n'est qu'à la sueur de son front qu'il sera possible d'en tirer la nourriture [...] Cependant, en dépit du péché des premiers parents, le dessein du Créateur, le sens de ses créatures et, parmi elles, de l'homme, appelé à cultiver et à garder la création, demeurent inaltérés ".

Si le travail appartient à la condition originelle, c'est que c'était " bon ". Au chapitre de la création du monde, dans la Genèse, chaque acte créateur s'achève par cette remarque " Et Dieu vit que cela était bon ". Dieu n'a pas pu, dans son dessein de Créateur plein d'amour, offrir à l'homme un supplice (le tripalium).

Si le travail est bon, c'est certainement parce qu'il a des vertus pour élever l'homme vers son destin et pour lui permettre de s'accomplir. Il en est toujours de même. On le voit bien dans les enquêtes sur le travail, et ce depuis des années, une grande majorité de personnes (60% à 70%) disent être heureuses de leur travail. Voyez comme les personnes dont l'entreprise ferme parlent de tout ce qu'elles y ont accompli au cours des années, des décennies passées !

Donc, le travail est bon et, depuis toujours, beaucoup d'hommes et de femmes l'ont ainsi vécu. Probablement, faudrait-il faire une exception de la condition humaine depuis le développement technologique de la fin du XVIIIème siècle ?

Mais, laisser entendre que le christianisme a développé une vision négative du travail me semble erroné. Peut-être que Monsieur Charles Pépin n'a-t-il comme connaissance du christianisme que celle véhiculée par ceux qui ont de l'aversion pour toute religion, ou pour le christianisme, et qui ne connaissent pas cette religion, ou ne la connaissent que par des stéréotypes un peu éculés ?

Il appartient aux chrétiens de mieux faire comprendre tout les apports de leur religion au bien commun, et ces apports sont immenses, n'est-ce pas ?