vendredi 23 mai 2014

Budget de la Défense nationale et chefs d'état-majors

Des journalistes rapportent que les quatre chefs d’état-major (Armées, Terre, Air et Marine) font savoir que, en cas de baisse des crédits militaires, ils pourraient déposer leurs képis et leurs casquettes, ce qui ne s’est jamais vu. Que peut-on en penser ?

Pour répondre, à ma manière à cette question, je prendrai mes exemples dans la Marine nationale pour une démonstration que je souhaite claire et simple. Tout ce que je dirai est transposable à l’armée de Terre et à l’armée de l’Air.

Les armées ont 5 missions stratégiques, je n’en aborde que 3.

-         Dissuader (« La dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance de la France vis-à-vis de toute agression »). 4 SNLE (sous-marins nucléaires lance engins) assurent cette mission. Il est facile de convenir que c’est très peu car cette dissuasion nécessite en permanence, 24h sur 24, 365 jours sur 365, un SNLE à la mer en posture de dissuasion. Diminuer le budget de la Défense nationale pourrait revenir à supprimer cette capacité stratégique de la France.

-         Intervenir (« La capacité d'intervention garantit nos intérêts stratégiques et de sécurité, et nos responsabilités internationales »). Nos intérêts stratégiques sont divers : il peut s’agir d’assurer la protection de nos approvisionnements stratégiques tels que le pétrole, d’assurer la sécurité de nos territoires d’outre-mer, ou d’intervenir dans le monde dans le cadre de nos responsabilités internationales (la France fait partie des 5 membres permanents du Conseil des nations unies) car la France souhaite participer à la pacification et à la stabilité du monde. Pour cela nous avons 1 porte-avions (PA) : la capacité de projection rapide de la France repose très souvent sur cet outil de puissance. Diminuer le budget de la Défense pourrait revenir à supprimer cette capacité et à faire de la France un pays incapable d’influer sur le cours du monde.
Ce porte-avions a besoin de frégates de défense aérienne (FDA) pour le protéger contre une menace aérienne, par avions ou missiles. Nous avons 4 FDA, ce qui est extrêmement limité. Diminuer le budget de la Défense pourrait conduire à ne pas pouvoir assurer la protection du PA en toutes circonstances.
Les SNLE comme le PA ont besoin de frégates de lutte anti-sous-marine (FASM) pour les protéger contre la menace sous-marine. Nous avons 6 FASM. A certains moments, un SNLE a besoin de deux FASM en océan Atlantique, et le PA en a besoin au moins de deux. Comment peut-on concevoir d’avoir moins de FASM qu’aujourd’hui ?

-         Prévenir (« La prévention consiste à agir en amont des crises pour éviter leur apparition ou leur aggravation »). Cette mission s’appuie notamment sur les forces pré positionnées : nous avons ainsi 6 frégates de surveillance réparties en océan indien, océan pacifique et zone Antilles-Guyanne. Ce sont les seuls bâtiments de haute mer basés dans nos territoires d’outre-mer. Or, la France possède le deuxième territoire maritime du monde (11 millions de km² de « zone économique exclusive », ZEE) qu’il nous est impossible de surveiller avec si peu de bâtiments. Comment peut-on concevoir d’en avoir moins ?
La prévention, c’est aussi par exemple la force maritime déployée depuis plusieurs années en océan indien pour lutter contre la piraterie (force européenne Atalante, à laquelle la France participe à hauteur de 2 bâtiments et d’un avion de patrouille maritime) et dans le golfe de Guinée dans le cadre de la mission Corymbe (1 navire en permanence) pour préserver les intérêts économiques français dans cette zone, pour être prêts à évacuer les ressortissants français et européens résidant en Afrique de l'Ouest, pour soutenir les forces françaises pré positionnées et pour lutter contre la piraterie. Ces bâtiments sont pris principalement parmi les 9 avisos, les 3 BPC et les 5 frégates Lafayette.

Peut-on concevoir que l’on soit capable d’assurer ces missions et toutes les autres que je ne citerai pas précisément (surveillance maritimes des approches du territoire français, surveillance des pêches, sauvetage en mer, …) avec encore moins de bateaux ? D’autant que les bâtiments de guerre nécessitent régulièrement un entretien, ce qui fait que nous n’avons jamais tous nos navires disponibles simultanément. Et il en est de même avec l’aéronautique navale qui n’est par exemple, capable de ne fournir qu’un seul groupe aérien au porte-avions. Vraiment, le format de la Marine nationale, aujourd’hui, est au plus juste par rapport aux missions qui lui sont dévolues, il est même insuffisant. Il en est de même pour les autres armées.

Le budget de la Défense n’a cessé de diminuer depuis 60 ans, comme le montre cette courbe synthétique.


 On conçoit bien que les besoins de Défense ne soient plus les mêmes qu’au sortir de la deuxième guerre mondiale et que la part de la Défense dans le PIB national ait diminué. On voit bien, aussi, qu’après la chute du mur de Berlin, le budget a chuté de manière forte, chaque Etat européen disant qu’il fallait récolter les « dividendes de la paix ». Mais, jusqu’où est-il sensé de le diminuer ?

Pour les pacifistes de cœur, il ne sera jamais assez bas. Mais, il serait logique qu’ils cessent de fermer à clef leur maison, de mettre une alarme dans leur voiture, de cadenasser leur portail.

Pour ceux qui pensent que le monde ne sera jamais un monde de paix et qu’il est nécessaire d’avoir une force armée, ils ne peuvent que convenir qu’un minimum du PIB doive être consacré à la Défense.

Pour ceux qui savent que la France a des intérêts répartis dans le monde entier (territoires d’outre-mer et ZEE), ils peuvent convenir que le budget de Défense de la France soit bien supérieur à un pays sans intérêt territorial extérieur.

Pour ceux qui pensent que la France a des responsabilités internationales car elle fait partie du Conseil des nations unies, car elle est à la tête de la francophonie, car son histoire est mêlée à celle du monde entier et qu’elle y est attendue comme référence internationale, car elle emploie sa force armée dans le cadre d’un droit juste et international au service de la stabilité et de la paix du monde et avec une armée aguerrie, extrêmement compétente et respectueuse des droits de l’homme, pour tout cela il doit être évident que l’effort de défense de la France doit être supérieur à bien d’autres nations.

Pour ceux qui savent qu’il y a actuellement une croissance des budgets des armées en de nombreux pays au monde, pays qui ne nous seront pas nécessairement amicaux, il est évident que nous ne pouvons rester à un niveau d’effort inférieur à 2% du PIB.

La question que l’on objectera immédiatement à cette analyse est celle de la situation négative des finances publiques aujourd’hui, et de la recherche de 50 milliards d’économies. Cette objection ne tient pas car la question des finances publiques est celle de la volonté des hommes politiques, du gouvernement. Ce dernier peut, s’il le veut, attribuer 2% du PIB au budget de la Défense : il lui suffit de trouver ailleurs des économies. Comment oser dire cela ? Tout simplement car la Défense est au cœur des attributions régaliennes de l’Etat : cette position oblige !

Aussi, l’émoi des chefs d’états-majors est compréhensible. Disant cela, je ne chercherais pas à les influencer (je ne le peux d’ailleurs pas) : ils sont libres de se positionner comme ils l’estiment face à cette question budgétaire. Cette question est, en fait, bien plus que cela : c'est une question de politique générale de la France, une question qui décide de la place de la France dans le monde.


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