Des journalistes rapportent que les quatre chefs
d’état-major (Armées, Terre, Air et Marine) font savoir que, en cas de baisse des
crédits militaires, ils pourraient déposer leurs képis et leurs casquettes, ce
qui ne s’est jamais vu. Que peut-on en penser ?
Pour répondre, à ma manière à cette question, je prendrai mes
exemples dans la Marine nationale pour une démonstration que je souhaite claire
et simple. Tout ce que je dirai est transposable à l’armée de Terre et à
l’armée de l’Air.
Les
armées ont 5 missions stratégiques, je n’en aborde que 3.
-
Dissuader
(« La dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de la sécurité
et de l'indépendance de la France vis-à-vis de toute agression »). 4 SNLE
(sous-marins nucléaires lance engins) assurent cette mission. Il est facile de
convenir que c’est très peu car cette dissuasion nécessite en permanence,
24h sur 24, 365 jours sur 365, un SNLE à la mer en posture de dissuasion.
Diminuer le budget de la Défense nationale pourrait revenir à supprimer cette
capacité stratégique de la France.
-
Intervenir
(« La capacité d'intervention garantit nos intérêts stratégiques et
de sécurité, et nos responsabilités internationales »). Nos intérêts
stratégiques sont divers : il peut s’agir d’assurer la protection de nos
approvisionnements stratégiques tels que le pétrole, d’assurer la sécurité de
nos territoires d’outre-mer, ou d’intervenir dans le monde dans le cadre de nos
responsabilités internationales (la France fait partie des 5 membres permanents
du Conseil des nations unies) car la France souhaite participer à la
pacification et à la stabilité du monde. Pour cela nous avons 1 porte-avions (PA)
: la capacité de projection rapide de la France repose très souvent sur cet
outil de puissance. Diminuer le budget de la Défense pourrait revenir à
supprimer cette capacité et à faire de la France un pays incapable d’influer
sur le cours du monde.
Ce porte-avions
a besoin de frégates de défense aérienne (FDA) pour le protéger contre une
menace aérienne, par avions ou missiles. Nous avons 4 FDA, ce qui est extrêmement
limité. Diminuer le budget de la Défense pourrait conduire à ne pas pouvoir
assurer la protection du PA en toutes circonstances.
Les SNLE comme
le PA ont besoin de frégates de lutte anti-sous-marine (FASM) pour les protéger
contre la menace sous-marine. Nous avons 6 FASM. A certains moments, un SNLE a besoin
de deux FASM en océan Atlantique, et le PA en a besoin au moins de deux.
Comment peut-on concevoir d’avoir moins de FASM qu’aujourd’hui ?
-
Prévenir
(« La prévention consiste à agir en amont des crises pour éviter leur
apparition ou leur aggravation »). Cette mission s’appuie notamment sur
les forces pré positionnées : nous avons ainsi 6 frégates de surveillance
réparties en océan indien, océan
pacifique et zone Antilles-Guyanne. Ce sont les seuls bâtiments de haute
mer basés dans nos territoires d’outre-mer. Or, la France possède le deuxième
territoire maritime du monde (11 millions de km² de « zone économique exclusive », ZEE) qu’il nous est impossible
de surveiller avec si peu de bâtiments. Comment peut-on concevoir d’en avoir
moins ?
La prévention,
c’est aussi par exemple la force maritime déployée depuis plusieurs années en océan indien pour lutter contre la
piraterie (force européenne Atalante, à laquelle la France participe à hauteur
de 2 bâtiments et d’un avion de patrouille maritime) et dans le golfe de Guinée dans le cadre de la
mission Corymbe (1 navire en permanence) pour préserver les intérêts
économiques français dans cette zone, pour être prêts à évacuer les
ressortissants français et européens résidant en Afrique de l'Ouest, pour
soutenir les forces françaises pré positionnées et pour lutter contre la
piraterie. Ces bâtiments sont pris principalement parmi les 9 avisos,
les 3 BPC
et les 5
frégates Lafayette.
Peut-on concevoir
que l’on soit capable d’assurer ces missions et toutes les autres que je ne citerai
pas précisément (surveillance maritimes des approches du territoire français,
surveillance des pêches, sauvetage en mer, …) avec encore moins de
bateaux ? D’autant que les bâtiments de guerre nécessitent régulièrement
un entretien, ce qui fait que nous n’avons jamais tous nos navires disponibles simultanément.
Et il en est de même avec l’aéronautique navale qui n’est par exemple, capable
de ne fournir qu’un seul groupe aérien au porte-avions. Vraiment,
le format de la Marine nationale, aujourd’hui, est au plus juste par rapport
aux missions qui lui sont dévolues, il est même insuffisant. Il en est de même
pour les autres armées.
Le budget de la
Défense n’a cessé de diminuer depuis 60 ans, comme le montre cette courbe synthétique.
Pour les pacifistes de cœur, il
ne sera jamais assez bas. Mais, il serait logique qu’ils cessent de fermer à
clef leur maison, de mettre une alarme dans leur voiture, de cadenasser leur
portail.
Pour ceux qui pensent que le
monde ne sera jamais un monde de paix et qu’il est nécessaire d’avoir une force
armée, ils ne peuvent que convenir qu’un minimum du PIB doive être consacré à
la Défense.
Pour ceux qui savent que la
France a des intérêts répartis dans le monde entier (territoires d’outre-mer et
ZEE), ils peuvent convenir que le budget de Défense de la France soit bien
supérieur à un pays sans intérêt territorial extérieur.
Pour ceux qui pensent que la
France a des responsabilités internationales car elle fait partie du Conseil
des nations unies, car elle est à la tête de la francophonie, car son histoire
est mêlée à celle du monde entier et qu’elle y est attendue comme référence
internationale, car elle emploie sa force armée dans le cadre d’un droit juste
et international au service de la stabilité et de la paix du monde et avec une
armée aguerrie, extrêmement compétente et respectueuse des droits de l’homme,
pour tout cela il doit être évident que l’effort de défense de la France doit être
supérieur à bien d’autres nations.
Pour ceux qui savent qu’il y a
actuellement une croissance des budgets des armées en de nombreux pays au
monde, pays qui ne nous seront pas nécessairement amicaux, il est évident que nous ne pouvons
rester à un niveau d’effort inférieur à 2% du PIB.
La question que l’on objectera
immédiatement à cette analyse est celle de la situation négative des finances
publiques aujourd’hui, et de la recherche de 50 milliards d’économies. Cette
objection ne tient pas car la question des finances publiques est celle de la
volonté des hommes politiques, du gouvernement. Ce dernier peut, s’il le veut,
attribuer 2% du PIB au budget de la Défense : il lui suffit de trouver
ailleurs des économies. Comment oser dire cela ? Tout simplement car la
Défense est au cœur des attributions régaliennes de l’Etat : cette
position oblige !
Aussi, l’émoi des chefs
d’états-majors est compréhensible. Disant cela, je ne chercherais pas à les
influencer (je ne le peux d’ailleurs pas) : ils sont libres de se positionner
comme ils l’estiment face à cette question budgétaire. Cette question est, en fait, bien
plus que cela : c'est une question de politique générale de la France, une
question qui décide de la place de la France dans le monde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire