vendredi 27 juin 2014

Des prénoms et de l'individualisme

Aujourd’hui, 27 juin 2014, l’Eglise nous invite à lire ce texte tiré de l’Evangile selon saint Luc (Lc 1, 57 – 63) :
« Cependant, le jour où Elisabeth devait enfanter arriva, et elle mit au monde un fils […]. Or le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant. On voulait l’appeler Zacharie, du nom de son père ; mais sa mère, prenant la parole, dit : « Non, il s’appellera Jean ». On lui dit alors : « Mais il n’y a personne de ta parenté qui porte ce nom ! ». Et on demanda par signe au père comment il voulait qu’on l’appelât. Celui-ci se fit donner une tablette et écrivit : « Jean est son nom » ; et ils en furent tous étonnés ».

De tous temps et dans beaucoup de cultures, les prénoms se transmettent dans les familles : un lien se tisse ainsi entre les générations, par un désir conscient de chacun, comme si les parents disaient : « Mon enfant, ta présence sur terre est l’aboutissement d’une longue histoire qu’il est bon que tu gardes en mémoire ; tu n’es pas un être isolé, souviens-toi toujours de ceux qui t’ont précédé et par qui tu es là ! ». Chaque génération est rattachée étroitement à la précédente, la porte dans sa mémoire jusque dans les prénoms. Chaque génération est ainsi conduite à reconnaître ce qu’elle doit aux précédentes et à vivre dans une relation étroite avec elles.

A l’ère chrétienne qu’inaugurent Elisabeth et Zacharie, une ouverture s’est faite : on donna aux enfants le prénom d’un saint, choisi par les parents, qui deviendra le saint patron de l’enfant. Souvent d’ailleurs, ces prénoms se transmettaient dans les familles de génération en génération : c’était le cas du fils aîné à qui l’on donnait couramment le nom du père. C’était comme si les parents disaient : « Mon enfant, ta présence sur terre est l’aboutissement d’une longue histoire qu’il est bon que tu gardes en mémoire ; tu n’es pas un être isolé, souviens-toi toujours de ceux qui t’ont précédé dans la foi et par qui cette foi t’est transmise ! ». Ainsi, chaque personne chrétienne s’inscrivait dans la large succession de la famille chrétienne. Chaque génération était conduite à se reconnaître comme faisant partie de cette famille chrétienne à travers les âges.

Aujourd’hui, ces règles ne sont presque plus appliquées : le choix des prénoms s’est très largement ouvert avec, même, des inventions de prénoms ! En effet, beaucoup choisissent un prénom pour son originalité ou, au contraire, selon l’air du temps et la mode, car on observe bien une mode des prénoms. On sent, à travers cette évolution, comme un vent de liberté qui souffle sur notre société : faire ce que je désire, sans lien imposé par la tradition familiale ; choisir le prénom qui me plaît, sans contrainte. Ce désir de liberté est une belle chose car il est bon que chaque personne puisse vivre de manière libre. C’est d’ailleurs bien cette liberté à laquelle aspirent les adolescents qui ont hâte de « larguer les amarres » et « d’avancer en eaux profondes » !

En choisissant ainsi des prénoms en rupture avec l’histoire familiale, les parents semblent donner déjà, dès la naissance, ce goût de la liberté à leur enfant : « Va, va où tu désires, ne t’encombre pas de traditions familiales, ne te sens pas lié au passé, aux générations précédentes : fais ta vie ! ».

On peut s’interroger, néanmoins, sur la perte de ces traditions : ne représente-elle qu’une liberté gagnée ? Ne diminue-t-elle pas, de manière inconsciente, le lien de solidarité entre les générations ? En effet, notre société a évolué au cours des dernières décennies vers un très fort individualisme et l’on voit que cette évolution se concrétise à travers cette manière de choisir les prénoms : l’enfant est ainsi invité à n’avoir pas de lien familial. Son prénom ne le rend en rien redevable des générations précédentes. Mais à l’inverse, cet enfant risque de connaître la solitude d’un être si libre qu’il n’a plus de lien avec personne : or, l’homme ne peut être un loup solitaire car, par nature, il est fait pour vivre avec les autres, comme sa capacité innée à parler le prouve.


Le lien avec les générations précédentes m’ancre dans une histoire qui me permet de mieux comprendre mon destin : sachant d’où je viens, je peux mieux savoir où je vais.

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